Le billet de Jean Pierre (concert du Gueux, 06/11/10)
Sortant de chez moi, je rencontre un type tout excité qui vient d’acheté une boîte de cigarillos. Jolie boîte sur laquelle il y a un rectangle argenté avec l’inscription FUMER TUE en noir. Le type est en train de le gratter furieusement avec une clef. Pourquoi tu grattes ? – Ben, je peux tomber sur un numéro gagnant, pardi !
J’intègre le Verre à Soi, Philippe et moi discutons des chansons à texte. Pour lui, dans la chanson le texte a peu d’importance. Seuls les mots comptent. Je tombe d’accord avec lui, je viens d’en avoir une troublante démonstration. Pourtant, au premier concert de ce soir on a un gars immergé dans son texte. Je regrette déjà ce que j’ai dit. On n’arrive pas à distinguer des paroles visiblement très belles, bouffées par une musique trop précipitée. Dommage. Quand on maîtrise aussi bien le violon et les mots, on devrait mieux les respecter. J’espère qu’il comprendra un jour. Laisse tomber la mode du tout rap, Coco. Et tu verras jaillir la beauté.
Après lui c’est un diable qui jaillit littéralement sur scène. Sur le coup je suis séduit par sa gueule de satyre et sa guitare dobro en tôle de râpe à fromage qui sonne comme un banjo, puissant et destructeur. Ça décape. Pour le texte, je laisse tomber, même si parfois j’arrive à capter quelques mots bien sentis. Par contre il s’est trompé de bal populaire, à haranguer le public comme s’il craignait qu’on l’oublie. Il doit avoir une peur bleue de la solitude, ce gars là. A la fin il me torture Love me tender. Diabolique jusqu’au bout. Regrets éternels. L’enfer commence toujours par le massacre des poètes.
En sortant, la lumière girouette des pompiers illumine la rue.
Un attroupement, heureusement désarmé, fait cercle.
C’est mon type de tout à l’heure qui gît par terre. Il a été renversé par une moto. Sa boîte qu’il avait grattée jonche le sol. Vous avez déjà vu une boîte de cigarillos joncher le sol ? C’est pas beau à voir. Dans les zébrures hâtives de ses coups de clef, on peut lire « VOUS AVEZ GAGNE ! ». Comme quoi le malheur n’arrive pas qu’aux autres. Je me saisis, non pas de l‘affaire, mais d’un cigarillo, allume. Mouais, ça valait pas tout ce tintouin.
Jean-Pierre Treille